Et dire que l’on persiste encore à dire dans notre vieux pays françois qu’on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs alors que, depuis des années, et ça va de mal en pis, le désastre de l’omelette en brasserie s’amplifie : incolore, inodore, sans saveur, nature ou accompagnée de pauvres lardons caoutchouteux ou de débris d’emmenthal flasques, que des ingrédients « pousse-caddie de chez Métro » comme dirait le Pousson grognon.
L’omelette sombre dans l’ennui !
Et ne parlons pas de celle de la mère Poulard au Mont Saint-Michel « fade, trop cuite avec plein de mousse et servi avec des pommes de terre certainement sous vide avec un goût horrible! 39 euros c'est vraiment exagéré!!! » dixit un commentateur sur la Toile.
Que faire alors pour éviter que ce naufrage ne fasse passer par pertes&profits ce fleuron simple de la gastronomie française ?
Ma réponse est simple aussi, allons voir du côté de l’Italie où la cuisine ménagère garde encore ses lettres de noblesse en magnifiant des ingrédients modestes.
Je sais que l’on va m’objecter que pour rehausser le prestige de l’omelette il suffit de lui injecter dans le buffet des truffes ou des champignons des bois…etc.
Trop cher tout ça !
De l’attrape prout-prout ma chère ! Des additions salées pour demi-sel des beaux quartiers…
L’omelette est, et doit rester, un plat populaire accessible à tous.
Nos voisins d’au-delà des Pyrénées, qui ne portent pas forcément les Français dans leur cœur, revendiquent la paternité de l’omelette comme l’indique cette anecdote rapportée dans un livre que je suis en train de lire « Aujourd’hui caviar, demain sardines » aux éditions de l’Épure :
- Le problème c’est que vous autres, les étrangers (ndlr en l’espèce des Uruguayens), vous croyez que tout ce que font les Gaulois, c’est le meilleur du monde. Et en fait, la vérité, c’est qu’ils s’approprient tout ce qui nous appartient, même l’omelette française est espagnole ! Regardez, regardez là – dit-elle en me montrant un livre qui, si j’en crois l’usure, doit être sa bible : le manuel de cuisine régionale de la section féminine de la Phalange –, c’bien clair, là, la recette de l’omelette française a été inventée par un cuisinier de Philippe II qui l’appela l’ « omelette de la Cartuja ».
Paroles fortes d’une cuisinière espagnole ombrageuse qui, selon l’auteur, ressentait « une haine viscérale pour tout ce qui vient de l’autre côté des Pyrénées, comme si Napoléon n’avait retiré ses troupes de Madrid qu’hier après-midi. »
Pour ma part, mon cœur penche plutôt au-delà des Alpes, alors, cap sur l’Italie et plus précisément Napoli, et je le dis avec la bonne humeur qui sied au plus Italien des Parisiens car, pour moi, frittata c’est bien plus joli qu’omelette qui, avec sa terminaison en ette, suggère le riquiqui, le genre diminutif : fille, fillette mais pas de féminin tout comme on dit femmelette et pas hommelette.
Bref, restons un instant dans le domaine de la langue : pourquoi dit-on « On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs » ?
Comme nous Français, aimons, ou aimions, passer beaucoup de temps à table, au point même de le faire acter par l’UNESCO au patrimoine immatériel de l’humanité, beaucoup d’expressions de la langue française viennent de la cuisine en faisant référence à des gestes ou à des moments culinaires.
Au XVIIe « faire une omelette » signifiait déjà « casser des choses fragiles ». Au milieu du XIXe, l’expression évolua et veut dire que l’on n’arrive à rien sans prendre de risques et qu’il faut savoir accepter et assumer les dommages collatéraux qui découlent de toute entreprise humaine.
Cette locution proverbiale devenue expression française fut vulgarisée par Balzac dans Scènes de la vie privée…
- Voulez-vous arriver ? s’écria le grenadier.
- Au prix de tout mon sang !... Au prix du monde entier !... répondit le major.
- Marche !... On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs !...
Et le grenadier de la garde poussa les chevaux sur les hommes, ensanglanta les roues, renversa les bivouacs, se traçant un double sillon de morts dans cet océan de tête… »
Pour faire une bonne omelette, quelle que soit sa dénomination, il faut d’abord de bons œufs que l’on ne trouve que chez un bon fournisseur qui vous garantit l’origine, le mode d’élevage et l’alimentation des poules. Difficile de nos jours mais faisable, pour les catégories officielles
Passons maintenant à l’opération sur la base de ce qu’affirment certains mâles pour justifier leur non-participation aux travaux ménagers : « je ne saurais même pas faire cuire un œuf ! » : la confection d’une omelette qui ne requiert pas les compétences d’un MOF.
Casser des œufs est à la portée du premier maladroit venu, les battre aussi, les verser dans une poêle et les cuire en omelette demande un tout petit peu plus de dextérité et d’attention.
Se faire une omelette nature c’est 5 mn chrono.
Une fois franchi ce premier pas il est possible, pour le pauvre mâle solitaire, abandonné de toutes les filles de la terre, de se lancer dans des expériences culinaires plus complexes.
Pour ce faire il lui suffit d’adjoindre à ses œufs battus tout ce qu’il a sous la main, des restes tout particulièrement, ça le changera des sardines à l’huile et du cassoulet en boîte…
Afin d’aider les novices dépourvus d’imagination, comme je suis fou de maccheroni, et surtout ceux qui ne sont pas tronçonnés en petits tuyaux, les longs si difficiles à consommer J je vais leur indiquer le mode opératoire de la frittata di maccheroni.
Les maccheroni longs sont impeccables pour la frittata car ils la structurent, lui donnent de l’ampleur. Un conseil, faites cuire vos maccheroni à l’avance, al dente bien sûr, stockez-les, en les lubrifiant légèrement et en les protégeant, ils n’en seront que meilleurs.
Pour la suite c’est à la couleur de votre esprit.
Je suggère :
- Vous battez les œufs à la fourchette, salez, poivrez
- Vous ajoutez du parmesan rappé, de la ciboulette hachée et du provolone coupé en dés,
- Vous faites revenir dans une poêle de la pancetta, puis vous ajoutez les maccheroni avec un léger filet d’huile d’olive,
- Versez alors les œufs battus. La chauffe de la poêle ne doit être ni trop douce, ni trop forte afin que la frittata prenne une belle couleur dorée.
L’opération essentielle à mi-cuisson est le retournement de la frittata. Il faut bien préparer votre geste pour ne pas « estropier » votre œuvre. Pour ma part je me sers d’un large plat à tarte que je pose sur la poêle, hors le feu bien sûr, puis comme je suis droitier je place ma main gauche sur le plat et, avec la droite, je me saisis de la queue de la poêle, coup de poignet et rotation à 180° de la main porteuse. Puis, opération dans l’autre sens pour placer la face extérieure de la frittata sur le fond de la poêle.
Veillez à ce que le cœur de la frittata reste moelleux.
Si vous consommez la frittata chaude vous pouvez l’accompagner d’une salade bien croquante mais elle peut aussi se consommer froide pour un pique-nique ou un casse-croûte.
Du côté liquide je penche pour un bon petit aligoté qui ne peut dire son nom et qui pour ce fait a trouvé refuge dans le paradis des Vins de France : Le Clou 34 2013 de Claire Naudin, ou si vous préférez le rouge : La Trama de Matteo Cerrachi.
La frittata di maccheroni di Annalisa Barbagli 20 giu 2014